TRANSPORT DES BLOCS EN ÉGYPTE, EXPÉRIENCE NE PERMETTANT PAS DE RESOUDRE L’EQUATION.

Récemment, une équipe de Pierre Tallet, avec le tailleur de pierre professionnel Franck Burgos ont tenté de reproduire la taille et le transport de blocs de pierre du calibre de ceux de la grande pyramide. Si la première expérience de Franck Burgos fut un échec, ne dépassant pas une vitesse de 35 mètres à l’heure, une seconde expérience est présentée comme un succès par Pierre Tallet sur son compte Twitter. Nous allons examiner cette expérience et voir si elle est applicable au chantier de la grande pyramide en 20 ou 30 ans. Notre angle d’analyse est celui de l’énergie nécessaire au déplacement et à l’élévation de la masse de la grande pyramide1, et notamment des aspects bioénergétiques de cet effort. Officiellement, aucune preuve ne permet d’affirmer qu’il y avait plus de 2000 hommes sur le chantier toutes taches confondues. Admettons qu’il y en ait eu 5000 ou 6000, car des preuves ont peut-être disparu sous la ville du Caire.

RENDEZ VOUS LE 25 FÉVRIER À ISSOIRE.

Cette question de la construction de la grande pyramide sera centrale dans la conférence que je vais donner.

Dans la vidéo vous pouvez voir 20 hommes tracter 2 tonnes pendant 10 à 15 secondes sur un distance d’une dizaine de mètres à la vitesse de 1 à 4 km/h selon les phases de traction. Le bloc est posé sur un traineau en bois, qui lui même glisse sur des traverses en bois. Il y a un test avec et sans eau pour mouiller le bois et favoriser le glissement. Le coefficient de frottement du bois humide sur bois humide est connu, il est de l’ordre de 0,3 ± 0,05. De fait en 2019 j’ai publié un outil téléchargeable permettant de calculer le nombre de personnes nécessaire à la traction d’une masse déterminée. Mon calcul donne exactement le résultat de l’expérience de Tallet et Burgos, puisque 20 hommes étaient nécessaires par calcul pour tracter 2 tonnes dans ces conditions.

Calcul effectuée par mes soins en 2019, conforme à l’expérience Tallet Burgos.

Toutefois, il faut faire attention avant d’en tirer des conclusions sur la faisabilité de l’opération dans le cadre d’un chantier de longue durée.

Penser que cette expérience prouve que les Égyptiens pouvaient le faire à ce rythme-là, c’est comme croire que parce que nous avons couru 100 mètres à 18 km/h nous pouvons courir un marathon à la même vitesse.

Lois de bioénergétique humaine à l’effort physique.

Les lois de la bioénergétique humaine sont sans appel, la puissance développée par un humain pendant quelques secondes avec son métabolisme anaérobie est 4 à 10 fois plus intense que celle qu’il pourra développer pendant 1 à 4 heures avec le métabolisme aérobie. Ainsi, la vitesse de traction du bloc entre 2 et 4 km/h sur 10 secondes sur terrain plat conduirait à une vitesse de 1 à 1,5 km/h sur une heure d’effort. La dépense d’énergie par personne est de l’ordre de 550 à 630 kcal à la vitesse de 1,5 km/h. La puissance mécanique est de l’ordre de 120 à 150 watts2 sur terrain plat. Elle grimpe entre 170 et 190 watts sur une pente à 7% occasionnant une dépense d’énergie de l’ordre de 750 kcal par heure3

Compte tenu de la taille et du poids des Égyptiens de l’antiquité (1m66 pour environ 60 kilos), et de l’effort (intensité et durée) nous pouvons affirmer qu’il y a un problème. À raison de 300 jours de travail par an4 pendant 25 ans, il faudrait 2200 hommes qui assurent le transport de la masse de la pyramide. La débauche d’énergie de ces hommes serait telle, qu’elle équivaudrait à courir environ 40 km chaque jour de travail. Une charge d’effort, que même les meilleurs athlètes d’endurance au monde ne peuvent soutenir. J’avais consacré un article à ce sujet en 2019.

Pour bien faire, il faudrait tripler le personnel, soit quelque 6600 hommes uniquement dédié au transport des blocs pendant 30 ans. Ce faisant, nous négligeons les 3000 à 5000 tailleurs de pierres, et le personnel chargé d’évacuer les déchets et de construire des rampes d’acheminements dont la charge énergétique est tout aussi colossale. Nous négligeons le fait, qu’il faudra mouiller constamment des traverses de bois disposées tous les 1 mètre, avec une quantité considérable d’eau qu’il faudra sans cesse acheminer pour compenser l’évaporation. Nous négligeons aussi le fait que la traction de traineaux n’est en rien ergonomique et qu’elle n’est pas tenable, les blessures ostéoarticulaires lombaires et dorsales seront nombreuses et irréversibles. La solution la plus évidente pour que l’équation soit tenable, est d’augmenter le temps de la construction. Une durée minimum de l’ordre de 100 ans est raisonnablement envisageable. Bien entendu, cela bouleverse le concept d’une construction dédiée à devenir le tombeaux d’un Pharaon.


  1. La masse de la pyramide doit être élevée depuis le site d’extraction des carrières jusqu’à une hauteur moyenne du 1/4 de la hauteur de pyramide. Le dénivelé moyen est d’environ 80 mètres. La distance varie entre 1000 m et 2000 entre le point d’extraction du bloc et son installation sur la pyramide. []
  2. Exercer une traction de 300 newtons par personne à la vitesse de 1,5 km/h pour déplacer ce bloc de 2 tonnes nécessite, une puissance mécanique de 120 watts par personne. A cette puissance mécanique il faut ajouter celle d’un humain qui marche. (60 à 100 watt). Ce qui revient à développer entre 180 et 220 watt. Une puissance permettant de rouler environ à 35 km/h en vélo de route sur terrain plat. []
  3. Le calcul de la dépense énergétique doit tenir compte du rendement de la contraction musculaire concentrique qui est de l’ordre de 20%. Si la course à pied présente un rendement de 40%, c’est parce qu’il combine une contraction excentrique et concentrique mettant en jeu l’élasticité des tissus musculaires, tendineux et conjonctifs. Dans le cadre d’un effort visant à tracter les blocs, ce sont essentiellement des contractions concentriques et isométriques qui entrent en jeu. Les contractions isométriques ont un rendement mécanique nul, puisqu’aucun mouvement n’est créé. []
  4. 300 jours par an sont déjà excessifs, puisque les Égyptiens étaient censés travailler lors des 3 mois de la crue du Nil, soit quelque 120 jours par an et non 300 jours par an. A cela s’ajoute la difficulté de travailler pendant l’été au moment ou la chaleur et le rayonnement solaire ne sont pas propice à des efforts en endurance. []

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