
Le chercheur indépendant Éric Lesaint a récemment publié un ouvrage et participé à une émission animée par Julie Couvreur. En amont de cette publication, nous avions échangé en privé au sujet de plusieurs éléments qu’il propose d’y développer. N’ayant initialement pas eu le temps de concevoir un outil permettant de tester certaines de ses observations, j’ai pu, ces derniers jours, en examiner une partie, portant sur un aspect particulièrement intéressant de ses observations.
Il s’agit de la présence possible de distances exprimées en multiples de 100 mètres entre l’autel des cornes — situé entre les pattes du Sphinx —(voir photo ci contre) et différents points caractéristiques des trois pyramides de Gizeh : notamment les coins, les centres des bases, ainsi que les centres géométriques des pyramides, en projection 2D aérienne.
Cette hypothèse m’a semblé être l’un des points les plus prometteurs de notre échange. Toutefois, pour qu’elle soit scientifiquement recevable, elle nécessite une précision métrique rigoureuse. En reproduisant les mesures à partir du fichier de points KMZ issu du relevé topographique réalisé par Glenn Dash1, j’ai pu reconduire les calculs et constater que la précision des mesures est de l’ordre de ±3 mètres (erreur maximale constaté 2,5 m). Une telle marge d’erreur rend toute conclusion prématurée sans recours à une analyse statistique solide.
Dès lors, une question se pose : les distances obtenues — 401,72 m, 498,2 m, 601,38 m, 697,91 m, 801,24 m et 999,56 m — s’écartent-elles suffisamment peu de multiples exacts de 100 mètres pour qu’on puisse exclure une coïncidence ?
Protocole :
Afin d’écarter toute possibilité de biais de confirmation lié à un ajustement manuel des distances, nous avons développé un outil d’extraction automatique des mesures à partir du fichier KMZ, en utilisant la formule de Vincenty pour le calcul précis des distances géodésiques. Cette méthode garantit une rigueur dans le traitement des données, indépendamment de toute volonté de faire correspondre les résultats à des valeurs cibles.

Dans un second temps, nous avons élaboré une simulation basée sur la modélisation de 1 000 000 de pyramides virtuelles. Celles-ci présentent des dimensions comprises entre 105 et 230 mètres, et sont situées à une distance aléatoire comprise entre 550 à 980 mètres de l’autel des cornes. L’objectif de cette simulation est d’évaluer la fréquence d’apparition de distances correspondant à des multiples de 100 mètres, en tolérant une marge d’erreur de ± 3 mètres.
Ce protocole permet de comparer les mesures réelles à une distribution de référence obtenue par tirage aléatoire, afin de déterminer si les correspondances observées s’écartent significativement de ce que l’on attendrait par le simple effet du hasard.
Résultats :
L’analyse des données réelles a permis d’identifier six distances distinctes comprises dans un intervalle de ±3 mètres autour de multiples de 100 mètres entre l’autel des cornes et divers points géométriques caractéristiques des pyramides (coins, centres de base et centres géométriques).
Afin d’évaluer la signification statistique de cette observation, une modélisation aléatoire de 1 000 000 de configurations pyramidales a été effectuée, avec des dimensions comprises entre 105 et 230 mètres et des positions aléatoires dans un rayon de 550 à 980 mètres de l’autel. Pour chaque simulation, le nombre de distances se rapprochant d’un multiple de 100 mètres (±3 m) a été comptabilisé.
Les résultats montrent une occurrence moyenne de 1,6 multiples de 100 mètres par simulation, avec un écart type de 1,2. L’observation de six occurrences dans les données réelles correspond à une valeur de probabilité critique (p = 0,0038), indiquant que cette configuration est hautement improbable si elle résultait uniquement du hasard.

En conséquence, on peut conclure, avec un niveau de confiance élevé, que la présence de distances multiples de 100 mètres entre l’autel des cornes et les structures pyramidales suit un motif non aléatoire, suggérant l’existence possible d’un module métrique intentionnel dans la conception du site.
Ces observations tendent à confirmer ce que l’on sait déjà dans les milieux de recherche holistique et indépendante, à savoir que les anciens Egyptiens utilisaient une mesure équivalente à notre mètre moderne.
Quid de la coudée royale ?
Lorsqu’on recherche la coudée royale dans ces distances, on ne la trouve pas.

Autre mesure possible ?
En approfondissant l’analyse, un second module métrique est apparu avec une redondance encore plus marquée : une unité de 80,47 mètres ± 0,12. En appliquant la même tolérance de ±3 mètres, cette valeur a été identifiée à 8 reprises parmi les distances mesurées entre l’autel des cornes et les points géométriques clés des pyramides.
Les simulations aléatoires précédemment décrites ont permis d’estimer la fréquence attendue de telles occurrences. Le calcul de la valeur de probabilité (p-value) associée à cette configuration donne P-value = 0,0009, soit une significativité quatre fois plus forte que celle observée pour les multiples de 100 mètres. Cela suggère que ce module de 80,47 ± 0,12 mètres constitue une structure sous-jacente plus marquée et statistiquement encore moins probable si elle était le fruit du hasard.

Ce résultat renforce l’hypothèse selon laquelle des modules métriques intentionnels pourraient avoir structuré l’organisation géométrique du plateau de Gizeh, au-delà du simple repérage par distances rondes en centaines de mètres.
La valeur métrique de 80,47 mètres, identifiée comme particulièrement récurrente dans les mesures relevées, présente un intérêt métrologique notable. Elle correspond très précisément à 1/20ᵉ de mile anglais (1609,344 / 20 = 80,4672 m), soit également 264 pieds anglais ou 88 yards anglais. Ce niveau de correspondance suggère que cette unité pourrait ne pas être fortuite, d’autant plus qu’elle apparaît huit fois dans les distances mesurées, avec une marge d’erreur de ±3 mètres, et une significativité statistique forte (p = 0,0009).
Ce type de corrélation n’est pas sans précédent : la présence d’unités de mesure identique au système anglo-saxon traditionnel dans les monuments de l’Égypte ancienne a déjà été proposé dans divers travaux de recherche en archéométrie. La redondance de cette valeur sur le plateau de Gizeh constitue donc une confirmation empirique supplémentaire suggérant l’usage — ou du moins la convergence — de modules de mesure compatibles avec les subdivisions du mile anglais.
Discussion :
Bien que l’idée d’une présence de mesures anglo-saxonnes dans l’Égypte antique soit généralement considérée comme anachronique par la majorité des historiens, les corrélations empiriques observées sont difficilement réfutables. Dans une webconférence récente, coanimée avec Mélissa Campbell, nous avons présenté plusieurs éléments montrant comment certaines unités du système de mesure anglais semblent structurer l’organisation du plateau de Gizeh. À titre d’exemple, la base de la Grande Pyramide mesure 9 070 pouces anglais, tandis que la longueur du plateau, du sud de la pyramide de Menkaourê au nord de la pyramide de Khéops, est de 907 mètres, soit 1 732 coudées royales, ce qui correspond précisément à 1 000 × √3 coudées.


Par ailleurs, la présence du mètre dans les rapports métriques observés sur le site paraît, elle aussi, difficile à attribuer au simple hasard. Sur ce point, nous rejoignons Éric Lesaint, qui comme nous défend depuis plusieurs années l’idée d’une connaissance ancienne du mètre ou de ses équivalents. Toutefois, certaines de ses autres hypothèses apparaissent moins convaincantes. Par exemple, la distance entre l’autel des cornes et le centre de la Grande Pyramide, qu’il propose comme équivalente au rayon d’un cercle de 100 hectares, présente un écart d’environ 0,2 %, ce qui la rend approximative car cette hypothèse ne trouve pas d’écho dans les autres distances mesurées sur le site : aucune régularité en multiples de 50 ou 100 hectares n’est observée. Il est donc probable que cette coïncidence autour de la surface de 100 hectares relève d’une corrélation fortuite.
De même, bien que nous ayons observé six distances proches de multiples de 100 mètres, les résultats de nos simulations indiquent qu’un tel phénomène peut se produire en moyenne 1,6 fois par configuration aléatoire. Il est donc raisonnable de considérer que l’une ou deux de ces correspondances pourraient également résulter du hasard.
Certaines autres propositions avancées par Éric Lesaint restent difficilement testables avec des outils statistiques, ou ne présentent pas de caractère facilement prédictif ou mettant en évidence des principes géométriques. Cela dit, comme dans toute recherche à caractère exploratoire, il est inévitable de rencontrer des signaux faibles ou ambigus, parfois attribuables au hasard. L’important est d’en avoir conscience et de faire preuve d’une rigueur méthodologique constante afin d’éviter autant que possible les sur-interprétations.
En ce sens, il ne fait aucun doute qu’Éric Lesaint a identifié plusieurs faits notables qui méritent d’être examinés de près. Par exemple la distance de 30000 yards mégalithique entre l’obélisque d’Héliopolis et la pyramide de Djédéfré est un de ces faits important découvert par Eric Lesaint. Tout comme la distance entre le pôle nord et le sphinx qui marque un point important de la recherche dans ce domaine.
Eric, avait aussi constaté que la surface de la calotte de terre en km carrés donnait une valeur de 127 560 000 , soit la valeur numérique du diamètre à l’équateur de la terre (12756,274 km). A partir de cette découverte majeure de Eric Lesaint, nous avions remarqué et signalé dans diverses conférences que le diamètre courbe de ce grand cercle mesurait 13369 km, ce qui correspond au nombre de fois ou la lune fait le tour de la terre en une année. Ce jeu numérique est évidement invraisemblable par hasard car la précision y ait exceptionnelle.

Toutefois, tous ne présentent pas la même robustesse, et il convient de distinguer ce qui relève de l’observation confirmée de ce qui reste au stade de l’hypothèse.
Certaines des lignes dites structurantes proposées par Éric Lesaint soulèvent toutefois des réserves, tant sur le plan méthodologique que sur celui de leur pertinence géométrique. C’est notamment le cas de sa tentative d’explication de l’orientation de la chaussée processionnaire reliant le temple de la vallée au temple haut de Khéphren. L’orientation qu’il avance entre en contradiction avec les travaux de John Legon (1989) (voir image ci dessous), puis de Howard Crowhurst, qui ont clairement démontré que cette chaussée, dans son ensemble, suit la diagonale d’un quadruple carré, avec une inclinaison précise de 14,04° par rapport à l’axe nord-sud. 2Nell et Rugles proposent un angle de 13,5°, mais leurs mesures sont effectuées partiellement sur le début de chaussée après que celle ci ait subit des fouilles et restaurations au début du 20ème siècle, ils notent un défaut de parallélisme non signalé par des auteurs précédents, suggérant que les mesures de terrains devraient être approfondies .3 Cette géométrie, cohérente sur la longueur totale de la chaussée, repose sur des fondements géométriques solides issues de mesures de terrain et difficilement contestables.

De manière analogue, certaines lignes proposées par Éric — telles que celle de 618 mètres orientée à 45° (en réalité 619 mètres à 45,3°) — présentent une approximation trop importante pour être considérée comme significative. Dans le cas de la ligne de 619 mètres, la déviation angulaire de 0,3° par rapport à la diagonale idéale compromet la validité géométrique de l’interprétation. Cette imprécision angulaire dépasse la tolérance admissible si l’on considère les nombreux exemples de maîtrise angulaire rigoureuse démontrés par les géomètres de l’Égypte ancienne.
En effet, les architectes et arpenteurs égyptiens ont montré, à travers de nombreuses réalisations monumentales, une précision remarquable dans la gestion des angles. Ainsi, toute hypothèse impliquant une géométrie diagonale ou orientée doit satisfaire à des critères de rigueur angulaire élevés, faute de quoi elle doit être considérée avec prudence, voire écartée.
Notre objectif ici n’est pas d’examiner l’ensemble des propositions de Eric Lesaint, mais bien de vérifier un fait nouveau et potentiellement structurant, qui mérite, selon nous, une attention particulière.
Pourquoi les modules métrique en hectomètre ne sont pas très précis ?
Une hypothèse explicative peut être avancée pour justifier la marge d’erreur observée dans les mesures — de l’ordre de ±3 mètres. Cette tolérance, constatée dans nos calculs, ne doit pas nécessairement être interprétée comme une imperfection instrumentale ou topographique. Comme nous l’avons démontré dans une conférence tenue en 2024, les arpenteurs de l’Égypte ancienne semblaient parfois sacrifier une précision absolue sur les distances pour préserver la finesse des angles de visée, dans le cadre de la transposition d’une géométrie plane sur une surface sphérique — en l’occurrence, la Terre.
À l’échelle du plateau de Gizeh, les corrections géodésiques nécessaires à l’adaptation d’un angle de visée optique peuvent effectivement générer des écarts de l’ordre de 2 à 3 mètres sur les longueurs projetées. Ces écarts sont précisément ceux constatés dans nos marges de tolérance lors de la détection des modules de 100 mètres ou de 80,47 mètres. Cette convergence entre marge d’erreur observée et corrections géométriques théoriques tend à conforter l’idée d’un système de mesure sophistiqué, dans lequel la primauté de l’orientation géométrique (notamment dans l’alignement des structures) pouvait justifier de légers ajustements métriques.
Pour progresser dans cette analyse, il serait nécessaire de reconstituer la logique géométrique d’ensemble des distances exprimées en modules de 100 mètres. L’étude de leur répartition angulaire, ainsi que de leur organisation géodésique, permettrait de modéliser les facteurs correctifs appliqués par les bâtisseurs et peut-être d’approcher les principes géométriques fondamentaux qu’ils ont utilisés pour structurer l’espace du plateau.
L’autel est il contemporain de la construction des pyramides ?
L’autel des cornes est il contemporain des pyramides ?Si le Sphinx est généralement considéré par de nombreux spécialistes comme contemporain des grandes pyramides, la datation et la fonction de certains éléments situés à ses pieds restent plus énigmatiques. C’est notamment le cas de la stèle dite « de Thoutmôsis IV » et de l’autel situé devant la poitrine du Sphinx.
La présence de cet autel pose question : constitue-t-il un ajout postérieur à vocation cultuelle ou bien pourrait-il s’agir d’un élément plus ancien, éventuellement lié à une fonction technique, comme une base d’arpentage ? La précision géométrique de son positionnement et son alignement avec d’autres repères topographiques renforcent l’hypothèse d’un rôle plus fonctionnel que purement symbolique.
Ces interrogations prennent un relief particulier à la lumière des travaux de chercheurs tels que Mark Lehner, Glen Dash, John Legon, Frédéric Malbos, Melissa Campbell ou encore les miens, qui ont mis en évidence l’existence d’un schéma d’arpentage sous-jacent à l’organisation du plateau. Ce plan, loin d’être élémentaire, semble faire intervenir des symétries complexes, des rapports géométriques précis, et une maîtrise avancée de la topographie.
Dès lors, la question centrale devient : comment intégrer l’ensemble de ces observations — éléments bâtis, artefacts, hypothèses de fonction — dans une lecture cohérente du site ? Cela suppose une approche pluridisciplinaire, croisant archéologie, géométrie, histoire des sciences, et étude des textes.
Références
Ci dessous les deux outils utilisés.
- https://www.academia.edu/36742756/The_2015_Survey_of_the_Base_of_the_Great_Pyramid[↩]
- Entre le fond du couloir du temple de la vallée et le fond du couloir dans le temple haut, Howard Crowhurst à montrer que la distance est de 523,6 mètres ± 0,5 avec une orientation de 14,04°, mettant en évidence un quadruple carré dont chacun des coté mesure 127 mètres, ou 5000 pouces anglais[↩]
- Nell, E., & Ruggles, C. (2014). The Orientations of the Giza Pyramids and Associated Structures. Journal for the History of Astronomy, 45(2), 304–360. DOI : 10.1177/0021828614533065[↩]
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